Le 9 septembre 2019, la Cour de Cassation s’est prononcée pour la première fois sur une disposition essentielle de la loi du 10 mai 2007, à l’occasion d’une affaire syndicale. Il s’agissait d’un arrêt sur la portée de l’article 28 sur le renversement de la charge de la preuve. Le plus grand obstacle auquel sont confrontées les victimes de discrimination lors de l’embauche ou du licenciement est la preuve de la discrimination.
Dans l’affaire soumise, il était absolument évident qu’un travailleur avait été licencié (après paiement d’une indemnité de préavis) le lendemain de sa participation à une « journée de grève provinciale » contre la politique socio-économique de Michel I.
Il ne fut pas très difficile de connaître la motivation du licenciement. En effet, le travailleur avait eu recours à son droit de le demander. L’employeur a fait savoir textuellement que le travailleur était licencié entre autres parce qu’il n’avait pas fait connaître « à temps et d’une manière correcte » son intention de participer à la grève provinciale.
Pour mémoire : il n’existe aucune règle légale qui oblige un travailleur à notifier à l’avance sa participation à une grève. La seule exception qui confirme la règle est la loi du 29 novembre 2017 relative à la continuité du service de transport ferroviaire en cas de grève.
Le seul cas où le travailleur a intérêt à le notifier est lorsqu’il s’agit de lever toute ambiguïté sur la légalité de son absence. Il n’existe cependant aucune obligation de notification individuelle, et encore moins de délai dans lequel la notification doit avoir lieu. Les obligations de notification collectives sont stipulées via des CCT dans des dispositions obligatoires. Ces dernières ne sont pas d’application aux travailleurs.
L’employeur a donc estimé nécessaire de licencier le travailleur « afin de ne pas aggraver davantage les faits ». Nous ignorions jusque maintenant que le licenciement de personnes constituait une manière de ne pas aggraver un conflit. C’est toujours agréable d’écouter des employeurs capables de penser out of the box …
La loi anti-discrimination aide les victimes présumées de discrimination à fournir une preuve. Lorsqu’une personne qui « s’estime victime d’une discrimination invoque des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination fondée sur l’un des critères protégés, il incombe au défendeur de prouver qu’il n’y a pas eu de discrimination ».
Le tribunal du travail d’Anvers, division Hasselt, a jugé que le travailleur avait apporté suffisamment de faits qui auraient permis de supposer l’existence d’une discrimination.
Le tribunal du travail estimait que l’employeur ne les avait pas réfutés non plus. Ce jugement fut cependant annulé par la Cour du travail d’Anvers. La Cour estimait que le travailleur n’avait aucunement apporté suffisamment de faits qui entraîneraient le renversement de la charge de la preuve. Elle a jugé que l’employeur aurait licencié le travailleur uniquement parce que ce dernier ne l’avait pas notifié « à temps et de la manière correcte » qu’il prenait part à la grève.
La Cour de Cassation a souligné ce fait par la paraphrase suivante : le travailleur aurait informé l’employeur de la grève « tardivement » et pas de la « façon usuelle ». La Cour de Cassation prend également en compte que ce retard a eu pour conséquence une perturbation grave. Nous ignorions que des usages qui ne sont mis nulle part par écrit seraient de nature à limiter un droit fondamental. Nous pensions que les limitations de droits fondamentaux devaient être « prescribed by law ». On peut bien entendu interpréter « law » au sens large, mais les usages ne sont par définition pas mises sur papier.
La Cour de Cassation refuse de casser l’arrêt de la Cour l du travail. Elle suit le raisonnement que les faits prouvés, que le travailleur apporte, ne constituent pas une circonstance qui « laissent supposer une discrimination sur la base de la conviction syndicale ».